Shakira en couverture : « Je veux toujours aller plus loin »
La chanteuse colombienne est à l’affiche de sa première couverture de Vogue Mexique et Amérique latine. Shakira a une conversation honnête sur l’intention de sa musique et tout ce qui en découle.
 
 
Il n’y a pas si longtemps, c’était le vingt-deuxième anniversaire de l’un des profils musicaux les plus emblématiques de l’histoire. Le journaliste de l’époque, Gabriel García Márquez, décrivait une jeune Shakira comme « intelligente, peu sûre d’elle, réservée, douce, insaisissable et intense », une série d’adjectifs qui semblent s’être renforcés au fil des ans. Aujourd’hui, la colombienne Shakira ne ressemble peut-être pas à cette femme qui, à l’âge de vingt et un ans, a enregistré quelques albums parfaits qui la conduiraient à devenir l’une des plus grandes stars de la musique latine ; Cependant, il faut quelques minutes pour discuter avec elle pour se rendre compte qu’elle n’a pas vraiment beaucoup changé. C’est peut-être quelqu’un qui a battu tous les records possibles dans le monde de la musique et qui a remporté des prix dans l’industrie par poignées, mais ses vertus humaines restent intactes. « Je ne suis pas une grande fan de moi-même », assure-t- elle dans cette interview pour Vogue Mexique et Amérique latine , « J’écoute toujours les choses que j’ai faites et je dis ‘ça aurait pu être mieux’, je ne suis jamais entièrement satisfaite. » Ce sont des mots qui ne semblent pas venir de quelqu’un qui a conquis le monde avec son art, mais sa réflexion est encore plus profonde : « Cette insatisfaction n’est pas entièrement négative, elle a quelque chose de bien. Je ne veux jamais revenir sur ce que j’ai déjà fait, je veux regarder ailleurs ».
 
Aujourd’hui, Shakira continue d’être cette personne douce et intense. « La curiosité a toujours été mon moteur, ne pas savoir où aller et ne pas être claire à ce sujet. Cela a été un bon allié. Si j’étais si confiante et si sûre de mon talent, peut-être que j’aurais abandonné ça maintenant. Mais je n’y ai jamais vraiment cru ». C’est dit par quelqu’un qui avec treize albums impeccables a réussi à se réinventer sans cesse , à travers un art qui semble de plus en plus imparfait. « Les gens autour de moi essaient toujours de me rappeler ce que je veux dire ou ce que j’ai représenté sur le plan artistique et musical, mais j’oublie ce que j’ai accompli et je veux toujours aller plus loin. » C’est une personne qui semble rester proche de son public à tout moment. Dans et hors du studio, en haut et en bas de la scène Shakira semble nous rappeler qu’elle est aussi humaine que les millions de personnes qui l’écoutent. Il suffit de remarquer comment elle a vécu la pandémie mondiale pour s’en rendre compte. « Comme tous; avec inquiétude, incertitude, avec un peu de stress, surtout pour mes parents, pour les personnes âgées, les personnes de la famille qui ont été exposées à la maladie. Mais en même temps essayer, dans les moments de confinement, d’en profiter pour faire des choses qui ne pourraient pas être faites dans une vie normale. Profiter pour être plus avec les enfants et la famille ».
 
Shakira est aussi cette personne intelligente et sage. En tant qu’artiste, elle a traversé différentes époques et a su non seulement briller dans chacune d’elles, mais aussi apprendre de chacune. Si une artiste latina a réussi à rester dans l’air du temps malgré la surinformation, c’est bien elle. Sa musique est toujours conçue pour le moment qu’elle souhaite mettre en valeur. Peu importe que ce soit avant la domination latino-américaine d’aujourd’hui ou après l’explosion des plateformes de streaming, son intelligence lui permet de tirer des leçons importantes. « La mondialisation et l’explosion des réseaux sociaux ont permis de briser de nombreuses barrières et préjugés qui existaient contre la musique latine, lorsque ceux qui avaient le pouvoir de jouer cette musique pour le peuple, pour les auditeurs, n’étaient que quelques-uns. Aujourd’hui, c’est le peuple qui commande, ce n’est plus le directeur d’une station qui décide de ce qui passe à la radio, c’est le peuple, la voix du peuple. Il n’y a plus d’homme en costume-cravate qui décide ce qu’il faut écouter ou pas ».
 
Il y a une liberté dans sa musique qui semble être présente à tout moment et avec laquelle elle a su créer des collaborations mémorables tout au long de ces années. « Les collaborations ont aussi été la préface de nouvelles scènes musicales », dit-elle, parlant d’elles comme d’un espace d’expérimentation commune.  » La Tortura (avec Alejandro Sanz), par exemple, a ouvert une nouvelle étape musicale dans ma vie , c’est une chanson essentiellement reggaeton et le reggaeton était une chose très locale à Porto Rico. » Avec cette chanson, elle a réussi à augurer des temps plus optimistes pour la musique latino-américaine et, peut-être, prophétiser son omniprésence aujourd’hui. « Cette chanson a marqué une étape parce que j’ai commencé à m’impliquer un peu plus dans les sons latins et le nouveau mouvement latino-américain : ce qui se passait à Porto Rico, en République dominicaine au niveau musical et tout ce que je voulais prendre à l’échelle mondiale, mais toujours en faisant un travail un peu anthropologique d’investigation de ce qui se passe dans chaque culture « .
 
Si Shakira a su se réinventer maintes et maintes fois, ce n’est pas seulement grâce à sa vision, mais aussi grâce à une astuce qui dépasse le champ purement musical et qui lui confère des perspectives plus complètes, des valeurs plus profondes et plus étudiées. « Je suis essentiellement une personne très curieuse et intéressée par la culture. J’aime la culture, j’aime les différentes particularités , j’aime la recherche et cela me nourrit artistiquement. A partir de là je fais mon travail de recherche puis d’expérimentation en studio d’enregistrement ».
 
C’est cette ruse qui l’a amenée à créer une carrière impeccable qui ne cesse de regarder ses racines, à la fois colombiennes et arabes. Dans un autre contexte, ils sembleraient deux mondes différents et étrangers, mais entre les mains de Shakira, ils deviennent une fraternité spéciale. « Ils sont apparemment éloignés mais ils sont profondément enracinés dans les Caraïbes colombiennes avec la migration des pays arabes, notamment le Liban et la Syrie. Ce fut une très grande migration, à un moment donné, ces deux cultures se sont mélangées d’une manière qu’elles sont déjà en quelque sorte inséparables ». Elle l’a montré dans ses albums, dans ses présentations et même dans le Super Bowl 2020 , l’un des plus grands jalons de sa carrière à ce jour et un événement plein d’obstacles qui lui ont laissé une réaffirmation qui semble être le mantra d’une vie : « C’était très stressant , mais il semble que ce soit mon karma, mon destin : que je doive toujours souffrir pour obtenir une sorte de récompense à la fin. Parfois, j’ai l’impression de travailler trop dur pour arriver à quelque chose, mais c’est comme ça ».
 
Cette réalisation reste, à distance, une célébration collective. Sa présentation avec Jennifer Lopez pourrait être traduite comme le symbole d’une époque où la latinité se retrouve aux quatre coins de la planète, toujours latente et toujours pleine de fierté. « D’un point de vue socio-politique, c’était un moment très important pour les Latinos , pour les Latinas, pour les femmes de mon âge, c’était une déclaration importante et nous voulions – à la fois Jennifer Lopez et moi-même – laisser les Hispaniques dans un lieu de respect et l’admiration au niveau mondial et je pense que nous avons plus que réussi cela ».
 
L’analyse et la réflexion ne lui sont pas étrangères. Un coup d’œil à son vaste catalogue vous permet de voir immédiatement. Avec ses chansons, elle parvient non seulement à créer des hymnes dédiés au sentiment, mais elle fournit également des réflexions importantes sur l’état du monde qui l’entoure. Sa musique est toujours pleine de lectures entre les lignes, une capacité que peu de gens partagent et qui est le produit de sa passion pour la lecture et l’apprentissage. « D’abord je pense, puis j’écris. Parfois, je fais une réflexion immédiatement après avoir écrit quelque chose qui implique une opinion politique, pour savoir si ce que je dis va vraiment avoir un effet positif ou négatif sur les gens. J’y penserai. J’ai récemment écrit une chanson avec un contenu politique et social et je me demande si ça vaut vraiment le coup ou pas. Il y a beaucoup de choses que je garde pour moi. Je comprends que tout ce que je dis a une conséquence et un impact sur les autres, j’essaie d’être minutieuse et prudente ». C’est quelque chose qui a marqué sa carrière à jamais et qui l’a amenée à créer une fondation qui n’a cessé d’aider sa Colombie natale depuis des années : « J’ai une équipe spectaculaire de personnes travailleuses et dévouées au travail social,qui comprend beaucoup de choses sur le sujet. Je me sens assez organisé dans une fondation qui travaille chaque jour pour améliorer les conditions de vie de tant de personnes et chaque jour avec de nouveaux sacrifices et défis. Je sais ce qui se passe dans mon pays et nous cherchons toujours à améliorer le service que nous offrons à la communauté ».
 
C’est aussi cette ruse qui lui a permis de rester dans les oreilles et le cœur du monde et c’est aussi ce qui la prépare pour un retour triomphal à la musique . « J’ai le sentiment que je suis sur le point de faire quelque chose de différent de ce que j’ai fait auparavant et de plus évolué au niveau sonore également. En ce moment, j’ai une chanson qui est la chanson que je voulais faire depuis longtemps. Je suis très excitée et j’attends, avec une grande anticipation de ce que je vais présenter et de ce que je vais continuer à faire ».
 
Si García Márquez manquait d’adjectifs pour décrire Shakira, on pourrait en ajouter quelques autres : humaine, spéciale et, surtout, passionnée. Aujourd’hui Shakira est quelqu’un sur qui les années pèsent peu et qui ne se laisse pas écraser sous le poids d’une carrière qui a changé des millions de vies. « Je me sens très énergique, désireuse de travailler et très inspirée. Je suis à plein régime, je fais beaucoup de chansons. Je suis en train de mixer cette chanson qui sortira en juillet. Je viens de tourner le clip et ces jours-ci, je me consacre à son montage, à la finition du mixage de la chanson et à sa préparation pour sa sortie en juillet. J’ai de grands espoirs pour cette chanson, de grandes attentes et de grands espoirs ». Aujourd’hui, Shakira est cette personne qui regarde l’avenir avec optimisme et qui voit des temps meilleurs. « Des chansons continueront de sortir tout au long de cette année et finiront sur un album qui, je pense, sera disponible pour l’année prochaine. Il y a aussi beaucoup d’envie de sortir à nouveau en concert, l’idée est de partir en tournée l’année prochaine, en été. Je pense que l’année prochaine je serai à nouveau en tournée. Je suis très excité à propos de tout cela. Après avoir profité du calme, maintenant toute l’activité recommence ».
 
Sans plus tarder, dans un monde qui commence à s’adapter à une nouvelle normalité et qui commence à mettre en branle les apprentissages d’une période chaotique, pleine d’instabilité et de confinement permanent, Shakira semble fournir un message spécial qu’elle partage avec García Márquez lui-même : la Vie n’est qu’une succession continue d’opportunités pour survivre. Shakira est de retour , survivre sera un peu moins compliqué en l’écoutant.